Petite histoire du pagne

Petite histoire du wax.

motif-plaque-plaqueSi les Africains connaissent bien le pagne (aussi appelé wax), les Occidentaux n’en ont souvent qu’une vague idée, limitée aux quelques boubous rencontrés au détour d’un couloir de métro.

Beaucoup sont loin d’imaginer l’immense créativité qui entoure le pagne africain, que ce soit au niveau du motif, du nom attribué au motif, de la couleur, ou de la signification que la personne revendique en portant un pagne plutôt qu’un autre.

 

Si le pagne a autant d’importance en Afrique, outre le fait qu’il constitue l’essentiel moyen de se vêtir, c’est qu’il demeure un élément de culture important.

Acheter un pagne en Afrique est un véritable art de vivre. Certaines rues sont d’ailleurs exclusivement dédiées au commerce de cette étoffe. La rue du mardi, par exemple, au grand-marché de Pointe-Noire rassemble la plupart des marchands de pagnes de toute la ville. On y rencontre un étalage de tissus aux motifs variés, aux couleurs denses et abondantes. Les stocks se renouvellent en permanence offrant aux amateurs de perpétuelles nouveautés. Quand une acheteuse part à la recherche d’un pagne, elle ne sait jamais avec quoi elle rentrera ni avec quelle quantité. Son achat sera le fait de rencontres, d’occasions, de trouvailles plus ou moins bonnes, en fonction des arrivages et de la créativité des designers textiles du moment.

motif2Partir à la recherche d’un pagne en Afrique, c’est partir à l’aventure, à la rencontre de plusieurs cultures, car il n’y a pas un style de pagne, mais autant qu’il existe d’époques et de pays africains différents: bicolore avec de gros motifs floraux, type « batik » avec des motifs géométriques sur fond uni, pagne avec bubbling et crackeling et reprenant des motifs existants, pagne édité spécifiquement pour un événement (une élection présidentielle par exemple avec la photo du Président imprimé, ou la journée de la femme ou bien encore pour une cérémonie).

Le novice qui découvre ces boutiques pour la première fois aura bien du mal à distinguer les différentes nuances. Il faut avoir vu beaucoup de waxs différents et beaucoup de qualités de tissu différentes pour les comprendre.

motif3Rappelez-vous du boubou rencontré dans le métro. Vous commencez à le regarder différemment. Mais oui, il s’agit bien d’une pièce unique, créée spécialement pour la femme qui le porte. Cette femme est allée au marché pour dénicher SON pagne, celui qui ne sera plus présent sur l’étal trois semaines plus tard car le stock aura été renouvelé, et se sera rendue ensuite chez son couturier pour commander sa tenue.

Peu de femmes occidentales peuvent se targuer de porter du sur sur-mesure avec un imprimé qu’elle aurait choisi elle-même ! Et si vous avez la chance de vous balader dans des rues africaines, vous assisterez, sans le savoir, à un véritable défilé de mode de créatrices, car chaque femme, quelle que soit sa condition sociale, trouvera le moyen de s’acheter un pagne et de se confectionner une tenue avec.

 

Le paradoxe est que le wax est fabriqué par des Hollandais.

Le principal fabricant, Vlisco, est un Hollandais qui produit du wax depuis plus de 150 ans.

 

Mais à l’origine, le wax était fabriqué par des Indonésiens.

motif4Les artisans indonésiens fabriquaient des étoffes en appliquant de la cire des deux côtés afin de masquer la teinture indigo et brun appliquée par la suite, ce qui laissait apparaître les motifs.

En 1830, les Hollandais occupaient l’ile de Java. Percevant qu’un potentiel marché était prêt à se révéler, et face à la faible production des artisans indonésiens, ils firent appel à la société néerlandaise Prévinaire pour fabriquer des batiks industriels. Dès 1852, une machine baptisée « la Javanaise » inspirée du mécanisme français de la Perrotine pour imprimer les billets de banque, permit d’imprimer la cire des deux côtés de l’étoffe, avant la teinture.

Le marché indonésien devenant plus concurrentiel, les Hollandais cherchèrent de nouveaux débouchés et proposèrent le batik en Afrique de l’Ouest. Ce fut un succès immédiat. Le nom devint Wax, en référence à la réalisation des motifs par impression de cire avant la teinture.

 

Aujourd’hui, la concurrence chinoise est féroce

motif5La plupart des pagnes trouvés sur les marchés africains sont des copies fabriquées en Chine. Mais on constate un phénomène intéressant : la copie elle-même est créative, car, face au renouvellement incessant des motifs, la copie n’est pas la simple réplique d’une étoffe, mais une variante. Le copiste ajoute d’autres éléments afin de différencier son pagne des autres et aussi certainement, pour d’éviter tout problème juridique face à la copie industrielle. Ainsi, certains motifs reviennent régulièrement depuis des décennies, mais ils se modifient et évoluent au fil du temps.

 

Comment reconnaître le wax

L’impression est visible des deux côtés du tissu.

Le wax doit être rigoureusement semblable des deux côtés. Pas d’envers ni d’endroit: les couleurs n’en sont que plus intenses, et les possibilités de coutures, multipliées.

 

L’effet bubbling

motif82L’effet bubbling, ce sont ces petites taches blanches parsemées sur l’étoffe. Après le bain d’indigo, la cire est supprimée, mais quelques bulles de cire sont épargnées afin de donner un éclairage particulier à la couleur ultérieurement appliquée.

 

Les craquelures

Les craquelures proviennent elles aussi de l’utilisation de la cire pour la fabrication du wax. La teinture s’infiltre et laisse apparaître un effet veiné de marbrures. Alors que ce phénomène est considéré comme un défaut par les Indonésiens, les Africains l’apprécient tout particulièrement.

 

motif8Le style graphique. Le wax se caractérise également par son style graphique : les contours des motifs sont tracés d’un trait épais. En outre, un ensemble de petits signes (crochets, spirales, vagues ondulées) comblent les zones vides. Ces petits détails permettent de maitriser les effets de cire, de favoriser un placement harmonieux du bubbling et d’éviter qu’un crackling trop violent ne défigure les motifs.

 

Dimensions d’un pagne

Le wax est vendu par (grands) coupons de 48 pouces (122 cm) de largeur, et 6 yards (5,48 m) de longueur. C’est la quantité nécessaire et suffisante pour vêtir une femme avec une jupe, un haut et une coiffe.

 

Différentes qualités

Il existe plusieurs qualités, en commençant par le prestigieux Super Wax (jusqu’à 100€), le Wax (90€), le Super Sosso (75€), le réal (18€).

Les marques s’identifient toujours par une bande sur la lisière du tissu. Certains n’hésitent pas à découper la bande d’un Super Wax et de la coudre au bas d’un simple Réal afin de faire croire à un Super Wax.

Mais plus que sa qualité, c’est véritablement le dessin qui fait vendre l’étoffe.

 

Les motifs

Le wax c’est avant tout un dessin et l’histoire qu’il raconte.

 

motif7Il peut y avoir un décalage entre l’objet et le nom associé. C’est-à-dire que des objets identifiables se voient attribuer des noms inappropriés. Par exemple le sceptre de la royauté ashanti est appelé parles Akan « tire bouchon ». Le tabouret royal est « le siège ancestral » au Togo, et le « tabouret des femmes sans mari » (des prostitués) au Burkina Faso.

 

Avec beaucoup d’imagination et d’humour, un motif est baptisé, rebaptisé, autant de fois qu’il revient sur le marché, à des endroits et à des époques différentes. Les Africains adaptent le motif à la situation actuelle et ne restent pas figés à une signification antérieure. Ils s’adaptent en permanence et suivent une certaine philosophie de vivre l’instant présent. On trouve par exemple des pagnes appelés :

  • rdv à 20h,
  • Mon mari est capable,
  • C’est le moment…

 

Parmi les motifs que l’on retrouve fréquemment, on remarque :

Les ailes de Garuda qui évoque l’oiseau de Vishnu en Indonésie. Il a subi des déformations graphiques et a été interprété de différentes façons selon les pays : le masque (Burkina faso), L’escargot qui sort de sa coquille (Togo), un régime de banane (Ghana).

 

Les ongles de Madame Thérèse.  Madame Thérèze était le surnom affectueux de l’épouse du Président ivoirien Félix Houphouêt Boigny. Au milieu des années 80, à Abidjan, la rumeur a circulé que ce dernier avait une maitresse. Les Ivoiriens disaient alors que Madame Boigny allait défigurer cette femme en griffant son visage de ses ongles tranchants. Revêtir le pagne « Les ongles de Madame Thérèse » est devenu un moyen ostentatoire de s’afficher comme une femme forte, non soumise à son mari.

 

La valise de Rosa fait référence à un épisode précis du feuilleton brésilien « Les roseaux sauvages », qui fut très populaire à travers l’Afrique de l‘Ouest en 1996-1997. L’appellation « valise de Rosa » fait référence à la scène déchirante où le personnage de Rosa Garcia annonce son départ en faisant sa valise.

 

Les royaumes africains : chasse-mouche, tabouret royal, sceptre, parapluie de chef…

 

La nature. Les représentations animales sont souvent utilisées comme des symboles :

  • Le poisson = l’abondance,
  • L’oiseau = la liberté,
  • La poule et ses poussins = La famille.

 

motif-sacLes objets de consommation : les lettres de l’alphabet, des crayons, des téléphones, des sacs, des bâtons de rouge à lèvres…

 

Des motifs abstrait et géométrique. Un motif circulaire divisé en rayon a été appelé « Millionnaire » en Côte d’Ivoire en référence au jeu télévisé où l’on pouvait gagner de fortes sommes d’argent. Un dessin quadrillé s’est vu attribuer le nom de « 220 logements » et se rapporte à des logements sociaux construits près du quartier d’Adjamé à Abidjan. Une forme allongée de losange a été appelée « pain beurré » et évoque le pain que l’on achète dans les kiosques à Abidjan….

 

Les motifs évoluent, mais certains restent et reviennent sur le marché soit à l’identique soit avec des modifications (couleurs, dimensions du motif, formes). Parmi ceux-ci certains sont centenaires.

 

grand-marché2 2Voilà, cette petite histoire du pagne est terminée. Vous comprenez maintenant pourquoi je suis tombée amoureuse de cette étoffe : pour son histoire, son humour, ses couleurs et sa gaieté, mais aussi pour l’immense créativité qui l’entoure, l’incroyable inventivité de chacun, du designer au consommateur en passant par les copistes… le dessin est créé par un Européen, qui imagine ce que les Africains désirent. Les Africains utilisent les dessins, les détournent de ce que le créateur avait envisagé, le renomment et lui donne un autre sens…

Je trouve que cela en fait une bonne représentation de la vie !

 

Pour rédiger cet article, je me suis servie de ma propre expérience au Congo, mais je me suis également documentée grâce au magnifique livre que je recommande à tous les amateurs de pagne:

-Afrique des textiles d’Anne Grosfilley.

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